Un mausolée, un trône, un palais, un paradis pétrifié ?

Savons-nous ce qu’est vraiment le Taj Mahal ? Considéré comme le joyau le plus parfait de l’art musulman en Inde,  cet ensemble est l’un des chefs-d’œuvre universellement admirés du patrimoine de l’humanité. Le complexe du Taj Mahal est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1983. 

Son origine réside dans des circonstances émouvantes. Shah Jahan, l’empereur moghol, a commandé ce monument à la mort de l’une de ses épouses préférées, Mumtaz Mahal. 

En 1607,  Khurrum, prince moghol qui prendra plus tard le nom de Shah Jahan, « roi du monde », est fiancé à Arjumand Banu Begum, d’origine persane. Ils se marient cinq ans plus tard, en 1612. Après leurs noces, Shah Jahan lui donne le titre de Mumtaz Mahal, «Joyau-Lumière du Palais ».

Mumtaz meurt en 1631, des suites des complications dues à la naissance de leur quatorzième enfant. Elle avait accompagné son mari lors d’une campagne guerrière, tous les chroniqueurs contemporains ont accordé une attention inhabituelle à cet événement et au chagrin de Shah Jahan. Immédiatement après avoir entendu la nouvelle, l’empereur aurait été inconsolable et décide de faire édifier un fabuleux mausolée. Plus tard, il finira ses jours emprisonné par  son fils Aurangzeb dans le fort d’Agra.  Il y passera les huit dernières années de sa vie, contemplant depuis ses appartements le mausolée où reposait son épouse.

Le monument est construit avec des matériaux provenant de diverses régions de l’Inde et d’autres régions d’Asie. Plus de 1 000 éléphants auraient été employés pour les transporter. Leur énumération exprime toute la richesse fabuleuse des Grands Moghols : le marbre blanc provient du Rajasthan, le jaspe du Pendjab, la turquoise et la malachite du Tibet, le lapis-lazuli du Sri Lanka, le corail de la mer Rouge, la cornaline de Perse et du Yémen, l’onyx du Deccan et de Perse, les grenats du Gange, l’agate du Yémen et de Jaisalmer, le cristal de roche de l’Himalaya. En tout, vingt-huit types de pierres fines et semi-précieuses polychromes ont été utilisés pour composer les décors en une marqueterie incrustée dans le marbre blanc. 

Le tombeau voulu par Shah Jahan pour contenir le corps de son épouse favorite Mumtaz Mahal a longtemps été présenté comme étant l’image du « Trône de Dieu » en référence à une des sourates du Coran ; il serait ainsi une métaphore architecturale du jugement dernier, de la miséricorde divine et de la récompense des fidèles au paradis. Mais l’historienne de l’art Ebba Koch, spécialiste de l’art moghol,  donne une interprétation différente du monument. Sa formidable investigation s’appuie sur l’ensemble du complexe et sur une attention à ses moindres détails, dont les décors. Pour Ebba Koch, le Taj Mahal serait la matérialisation de la demeure de Mumtaz Mahal au paradis. Un de ses exemples s’appuie sur les décors du monument, la demeure paradisiaque s’exprime dans les fleurs délicates qui apparaissent sur les plinthes, au niveau des yeux du spectateur. Elles sont sculptées très finement et représentent des espèces botaniques naturalistes mais non identifiables qui transforment les murs du mausolée en parterres éternellement fleuris.

Pour Shah Jahan, le mausolée devait être placé dans un vrai jardin, luxuriant, composé d’arbres et de fleurs aux essences variées. Le plan du jardin suit la description du paradis coranique avec ses quatre rivières d’eau, lait, vin et miel. Il a été remplacé au XIXème siècle par un jardin anglais. Ainsi, la nature est une beauté fugace et périssable, et pour que ce paradis touche à l’éternité, les artisans ont coupé et sculpté des fleurs de pierres et de marbre sur les parois. Mais ces fleurs ne baignent plus dans les parfums du jardin disparu.

La décoration culmine à l’intérieur du mausolée, en son centre, avec les cénotaphes de Mumtaz et Shah Jahan et l’écran ajouré (jali) qui les entoure. Ceux-ci sont couverts de fleurs spectaculaires et de plantes incrustées de pierres semi-précieuses, technique de la pietra dura ; les Moghols appelaient cette technique parchin kari (travail enfoncé). Pour les modèles de ces décors, les artisans se sont inspirés des illustrations des herbiers européens, dont celui d’un français du début du XVIIème siècle, Pierre Vallet. Ces motifs, pour certains remodelés,  sont ensuite sculptés ou incrustés sur les parois d’une manière spectaculaire et inégalée. Ils sont inspirés entre autres par le lys martagon, la tulipe et la fritillaire impériale, autrefois appelée Larme de Marie. Dans la peinture européenne, ces modèles de fleurs étaient utilisés dans les tableaux de Vanités pour accentuer l’idée que la vie humaine est transitoire, et que sur Terre tout est éphémère. Paradoxalement, ces motifs prennent ici une valeur d’éternité. Comme le souligne Ebba Koch, nous ne savons pas si les Moghols connaissaient ce symbolisme, mais il donne un sens supplémentaire aux décorations florales du Taj Mahal.

Le Taj Mahal, paradis pétrifié pour l’éternité, contient encore de nombreux secrets à dévoiler, comme son jardin au clair de lune sur l’autre rive de la Yamuna, ses inspirations poétiques, ses calligraphies, son acoustique, le mariage des couleurs rouge et blanche, l’équilibre dans la composition de ses éléments architecturaux….

Sylvain Métot

Bibliographie :

Le livre incontournable d’Ebba Koch, The complete Taj Mahal

https://thamesandhudson.com/complete-taj-mahal-and-the-riverfront-gardens-of-agra-9780500289846

Crédit Photo : wikicommons, Tumblr, Flickr

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