Un anniversaire de 450 ans

L’année 2021 marque le 450ème anniversaire de la mort du fascinant orfèvre et sculpteur italien  Benvenuto Cellini (1500-1571). À cette occasion, le musée d’Histoire de l’art de Vienne met en avant un de ses chefs-d’œuvre les plus célèbres, la Salière, qu’il réalisa pour François Ier.

Dans la vie agitée de Cellini, son séjour à la cour de France de 1540 à 1545 présente une importance essentielle. Il lui donna l’occasion non seulement de produire son chef-d’œuvre dans le domaine de l’orfèvrerie, la fameuse salière, mais encore d’aborder l’art de la sculpture auquel il aspirait depuis longtemps. Ses rapports avec la cour de France furent déterminants pour son œuvre, sa carrière et même l’évolution de sa personnalité d’artiste.

Le caractère de Cellini peut déplaire, à la fois par sa vantardise, ses prétentions, ses excès de toutes sortes, et sa violence même qui n’était pas seulement verbale, puisqu’il s’était déjà rendu coupable d’au moins trois meurtres en Italie. 

Lorsqu’il est emprisonné à Rome à la fin des années 1530, c’est le cardinal de Ferrare, Ippolito d’Este, qui réclame au pape de la part du roi « avec grande instance » la libération de l’artiste. 

La première commande qu’il reçoit de François Ier était celle de grands candélabres d’argent que le roi désirait pour sa galerie de Fontainebleau depuis plus de deux ans. Cellini accède enfin à l’art majeur dont il a toujours rêvé, il satisfait cette ambition qui lui faisait dans sa jeunesse dessiner la figure avec passion, mais il va rencontrer toutes les difficultés inhérentes à son inexpérience des arcanes de la cour. 

Après sa libération à Rome, Cellini conçoit pour le cardinal de Ferrare un projet de salière qui semble à son protecteur trop ambitieux et réalisable seulement pour le roi de France. Plus tard, à Paris, ce dernier lui exprime le désir d’avoir une salière, et Cellini propose son modèle. La confection de la salière dure trois ans; lorsqu’il l’apporte au roi, François Ier en reste stupéfait d’admiration. 

Cette décoration de table, conçue en or et agrémentée de pierres précieuses, est remplie de thèmes allégoriques, que je vous propose de découvrir.  

Ce qui fait de sa salière plus qu’un ouvrage d’orfèvrerie, c’est la présence de deux figures d’or qui en constituent l’ornement essentiel : des allégories des Éléments d’où proviennent le sel et le poivre. La Mer est symbolisée par Neptune tenant le trident avec une barque sur le côté, la Terre par une femme nue allongée près d’un temple ionique richement décoré. Grâce à leur présence, l’objet se chargea d’une valeur symbolique et poétique tout en accédant à un rang artistique supérieur. Il s’agit d’une symbolique assez sophistiquée qui pourrait étonner de la part d’un orfèvre que l’on considérait, comme Léonard de Vinci, « sans lettres ». Dans son traité d’orfèvrerie, Cellini désigne la figure féminine  comme étant Cybèle, mère des dieux et déesse de la Nature, ’idée étant de représenter la Terre comme bienfaitrice qui produit le poivre; celui-ci est déposé dans le petit temple d’ordre ionique, dont la toiture est amovible. 

Dans son autobiographie, Cellini exprime son souhait de montrer comment la Mer s’unit à la Terre par « deux figures allégoriques  assises en face à face avec les jambes entrecroisées, et ressemblant à la mer embrassant la terre », le sel naissant alors de cette rencontre exprimée par le mouvement et le contact sensuel de leurs jambes.  Le dieu marin Neptune, trident à la main et soutenu par des hippocampes, distribue le sel dans une barque richement ornée assez grande pour un approvisionnement abondant.  

La base concave montre des personnifications de l’Aurore, du Jour, du Crépuscule et de la  Nuit (dans leur pose et leur style, elles ont comme référence les sculptures de Michel Ange).

Neptune est d’un type classique par la vigueur presque maigre et le visage barbu, mais la Terre, en dépit de la référence à Cybèle, ne reproduit pas le type antique (qui ordinairement la montre trônant, la tête couronnée de tours, accompagnée de lions); elle n’est qu’un nu librement conçu. Leur trait commun le plus frappant est leur canon très étiré, les membres longs, la tête petite et juchée sur un haut cou. Les déformations physiques sont caractéristiques du style maniériste, assez répandu dans l’art italien en ces années ; la poitrine est placée trop haut dans le torse, le cou démesuré, travaillé comme un cylindre sans modelé, apparaît comme un présentoir de la tête et trahit l’artifice. L’ensemble produit un effet gracieux, ces transformations pouvant rappeler celles effectuées par Ingres dans ses odalisques, le corps devient un traitement formel qui s’éloigne de la réalité.

Le trait le plus arbitraire et caractéristique de l’oeuvre est la position même des deux protagonistes, renversés en arrière comme deux rameurs à la fin de l’effort, Neptune à peine soutenu au coude gauche par un cheval marin, la Terre sans aucun appui : cette pose intenable, qui semble artificielle, n’entraîne pas chez la femme la tension musculaire indispensable à l’équilibre, elle est paradoxalement contraire à la conception maniériste, qui cherche un effet saisissant dans la torsion du corps. L’effet créé ici donne une impression de doux mouvements et d’équilibre harmonieux comme suspendu dans le temps.

La salière de François Ier est incontestablement un chef-d’œuvre d’orfèvrerie éblouissant. Malgré sa petite taille, trente-cinq centimètres de large sur vingt-cinq de haut, cette salière peut être considérée comme un véritable monument maniériste dont la composition joue sur le mouvement, la tension et l’équilibre de l’ensemble.  Elle est le seul exemple authentifié de l’art de l’orfèvrerie de Benvenuto Cellini encore existant.

Avec le temps, les relations de Cellini avec le roi se gâtèrent. Il en a rejeté la faute sur la duchesse d’Étampes, favorite du roi avec laquelle il avait des relations difficiles, elle l’aurait desservi de toutes ses forces auprès du souverain. La duchesse lui manifestait de l’animosité, et on sait quel pouvoir elle avait sur le souverain. Il n’en demeure pas moins que François Ier concevait de fortes critiques envers l’artiste : il était lent, voire trop lent, il se dispersait entre trop d’ouvrages au détriment du seul que le roi lui avait proprement commandé, les candélabres d’argent. Sa patience finit par se lasser, François Ier l’aurait menacé, le ton irrité, en souverain autoritaire qui oublie ses manières gracieuses quand il sent qu’on brave son autorité, et qui veut être obéi.

Lors d’une altercation avec la favorite, qui parlait en reine, le ton monta si vite que le roi fut obligé d’imposer silence pour éviter que des paroles irréparables soient prononcées. Mais lorsque que sa colère fut retombée, Benvenuto dut s’avouer qu’il s’était fait une ennemie mortelle, et la plus puissante qui fût alors.  Moins de six mois plus tard, Cellini repartait pour Florence en laissant en plan tous les ouvrages en cours et sans même avoir pris congé du roi, ce qui constituait une faute grave et presque une injure dans les usages du temps. Il a dû s’épouvanter à l’idée de ce qui pourrait lui arriver si la protection du roi venait à lui manquer. Il continua sa carrière à Florence avec la réalisation du fameux Persée installé dans la Loggia des Lanzi.

Quant à la Salière, elle quitta malheureusement les collections royales en 1570 pour offerte à l’archiduc Ferdinand II de Tyrol par le roi Charles IX lors de son mariage avec l’archiduchesse Elizabeth.  Elle entra ainsi dans la collection des Habsbourg, empereurs du Saint Empire Romain germanique, et nous pouvons la retrouver à Vienne dans les collections du musée d’histoire de l’art, qui recèle bien d’autres trésors. 

Sylvain Métot

Crédit Photo: Wikicommons, Kunsthistorisches Museum, Tumblr

Bibliographie: Bertrand Jestaz, L’Art de la Renaissance, Benvenuto Cellini et la cour de France (1540-1545).

Benvenuto Cellini Saliera, 1540-1543

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