Mascarons

Bordeaux présente plus de 3 000 mascarons, ces visages de pierre ornant les dessus de fenêtre ou d’ouverture de porte,  ils participent à l’ornementation des façades et des fontaines de la ville.  Chez les architectes et les historiens de l’art une polémique a toujours séparé les puristes, qui considèrent que l’ornement est une tricherie et qui s’opposent au mascaron inutile à leurs yeux ; et ceux qui jugent au contraire que le mascaron embellit l’architecture en rompant son uniformité. A Bordeaux, sanctuaire du classicisme français, ce style qui passe pour austère n’est pas sans humour et  montre parfois une fantaisie débridée grâce aux mascarons dont l’imaginaire ludique ou historique permet d’animer la rigueur géométrique des façades.

L’Antiquité gréco latine utilisait les représentations de visage pour chasser le «mauvais œil », des masques grotesques ou hideux figuraient sur les temples, les tombeaux, les cuirasses, les meubles et tous les objets du quotidien. Par la suite, ces mascarons décoratifs ont été repris par les artistes de la Renaissance. Les Italiens Rosso Fiorentino et Le Primatice, qui viennent travailler à Fontainebleau pour le roi de France François Ier, les apportent dans leurs croquis.

Les premiers mascarons bordelais font une entrée timide aux XVIème et XVIIème siècles, puis la mode explose au XVIIIème siècle. En 1605, les façades de l’hôtel Martin situé 43 rue du Mirail accueillent les figures de faunes à la barbe végétale, de ménades, de gorgones, de sylvains et de satyres. Ces mascarons animent les façades nobles et austères de l’hôtel. En 1615, ce décor exubérant abrita Marie de Médicis à l’occasion du mariage de son fils Louis XIII avec Anne d’Autriche le 21 novembre à Bordeaux.

Le XVIIIème siècle, est « un siècle d’or » pour la ville de Bordeaux, cette prospérité provient essentiellement du port de la Lune qui va devenir un des premiers ports du royaume. La ville commerce le vin, mais aussi le sucre colonial et les esclaves. Dans ce contexte, le mascaron se répand et triomphe, comme sur La Place Royale (Place de la Bourse), dans des cours intérieures ou sur la hauteur des façades des hôtels particuliers.  On y découvre Bacchus, Neptune, Apollon, Minerve, des faunes, naïades, satyres, un bestiaire de chevaux, de lions, de créatures fantastiques, des figures féminines, des visages du carnaval, des anges…

Tout ce petit monde fait de Bordeaux, après Paris, la ville de France la plus fertile en mascarons, mais on en admire aussi à La Rochelle, Nancy, Nantes, Aix-en-Provence ou Strasbourg.

Ces mascarons sont comme un miroir de la société, non de simples masques, ils reflètent aussi les mœurs et les goûts d’une époque. Les mascarons bordelais racontent également l’histoire de la ville avec la reproduction de visages africains en référence au commerce des esclaves, l’intégration de symboles maçonniques, chrétiens ou juifs.

Certains affichent des symboles de la franc-maçonnerie. Celle-ci fut solidement implantée en Angleterre au début du XVIIIème siècle, elle se développe en France avec les premières loges parisiennes vers 1726. À Bordeaux la première loge anglaise a été créée en 1732. Bordeaux accueillait plus de 2 000 franc-maçons à la fin du XVIIIème siècle. Ainsi, en 1745, Étienne Morin, négociant entre les Antilles et Bordeaux, fonda la Loge écossaise de Bordeaux.  L’hôtel particulier, au 15 cours Georges Clemenceau, du marquis de Canolle qui fut a priori franc-maçon, présente sur sa façade des médaillons avec des symboles franc-maçon, comme le compas et l’équerre. 

La colonisation et l’esclavage participèrent à la richesse de la ville de Bordeaux, tant par la traite négrière, que par le commerce en droiture des denrées produites par les esclaves ou encore la possession de plantations. Des mascarons gardent la mémoire de cette histoire et plusieurs d’entre eux représentent des visages d’hommes ou de femmes africains. Ainsi, le visage d’une femme reproduit sur la Place de la Bourse, au tout début de la rue Fernand Philippart. De même un autre visage portant des boucles d’oreilles est sculpté sur une façade de la rue d’Aviau à proximité du Jardin Public.

D’autres mascarons font découvrir aux Bordelais des contrées lointaines : un visage d’un homme turc au n°33 quai Richelieu, des visages dits de « sauvages » au n°28 place Gambetta (hôtel de Verduzan) et au n°28 quai Richelieu, et une tête de marin au n°54 rue du Mirail.

La foi chrétienne s’exprime également avec les mascarons. Au numéro 158 de la rue Sainte-Catherine, un mascaron représente le visage de Jésus-Christ portant une couronne d’épines. L’ancien hôtel de Nice, situé place du Chapelet, est décoré avec des mascarons présentant les vertus chrétiennes reprises de l’Antiquité : la Foi avec une croix et un calice, la Justice avec une balance et la Prudence avec un miroir et un serpent.

La présence d’une communauté juive est attestée depuis plusieurs siècles à Bordeaux. Celle-ci s’accroît considérablement après la promulgation du décret de l’Alhambra par lequel les rois catholiques décident d’expulser les juifs de la péninsule Ibérique. La communauté juive bordelaise restera florissante, fournissant quelques grands noms dans les domaines de la littérature, des arts, du commerce et de la politique. La mémoire de cette présence juive se retrouve dans les mascarons.  L’hôtel particulier construit en 1719 pour le négociant et banquier Antoine-Salomon Francia (1680-1760), au 54 rue du Mirail, présente un mascaron au visage d’un enfant surmonté d’une étoile de David à six branches. Le mascaron représenterait Louis-David, un des onze enfants du propriétaire.

Qu’on les considère comme un simple ornement inutile, ou au contraire comme un embellissement de l’architecture classique pour rompre sa monotonie, les mascarons nous offrent un regard émouvant sur l’histoire de Bordeaux.

Sylvain Métot

Bibliographie: Jacques Sargos, Le peuple de pierre, éditeur l’Horizon Chimérique.

http://www.lefestin.net/le-peuple-de-pierre-histoire-des-mascarons-de-bordeaux

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